Les forêts humides mettent en action la circulation atmosphérique qui amène les pluies vers toutes les terres continentales à partir des océans; une nouvelle théorie explique pourquoi la disparition des forêts causera des désertifications catastrophiques. Par Peter Bunyard
Le texte original en anglais et les références sont accessibles sur le web par : https://www.i-sis.org.uk/importanceOfTheAmazonRainForest.php
Depuis 30 ans, les climatologues se sont demandé ce qu'il adviendrait des précipitations sur le bassin amazonien, sur lequel les forêts viendraient à disparaître, remplacées par des pâturages pour le bétail, par la culture du soja, l'exploitation du bois ou à la suite de changements spectaculaires de la circulation des masses d'air, provoqués par les émissions de gaz à effet de serre et, dans leur sillage, le réchauffement climatique.
Est-ce que les précipitations diminueraient considérablement ? Pourraient-elles augmenter encore au dessus des Andes, du fait que la masse d'air passe sans encombre, malgré les milliers de kilomètres de ce bassin ?
La plupart des études sur le bassin de l'Amazone, telles que celles du Centre Hadley du Royaume-Uni, montrent que la déforestation aurait peu d'effet sur la région orientale du bassin et, au pire, n'apporterait qu'une réduction de 15 à 20 pour cent de la pluviométrie – soit un millimètre de moins par rapport aux 5,8 millimètres journalier en moyenne - dans la partie centrale et occidentale [1, 2].
Ces conclusions sont fondées sur des modèles climatiques paramétrés ( tweaked ) pour être en accord étroit avec les données antérieures, de telle sorte que quand ils sont mis en oeuvre en retour par rapport à la situation actuelle, ils puissent bien s'accorder avec les conditions climatiques générales du milieu du 19 ème siècle.
Et, pour être plus réalistes, les climatologues, comme Richard Betts au Centre Hadley, ont intégré un cycle terrestre du carbone dans leurs modèles, avec des précipitations et des températures, comme facteurs essentiels dans le maintien du couvert végétal. Ils ont pris en compte le recyclage de l'eau par l' évapotranspiration , qui sur une vaste étendue - les 7 millions de kilomètres carrés du bassin amazonien - est le mécanisme par lequel la forêt tropicale, dans son centre et à ses extrèmités terrestres, est réputé recevoir une pluviométrie adéquate.
Le modèle du Hadley Centre (HadSM3), couplé à un modèle dynamique de la végétation mondiale (Triffid), permet de prédire les impacts de la poursuite des émissions de gaz à effet de serre ‘comme d'habitude', principalement celles du CO 2 , sur la température de surface, sur les courants océaniques et finalement sur l'état de la forêt tropicale amazonienne.
Ainsi, les modèles prédisaient que la température globale à la surface terrestre devrait augmenter d'un bon 50 pour cent de plus que celle qui avait été indiquée dans les différents rapports d'évaluation du GIEC, pour atteindre peut-être une valeur aussi élevée que 9°C, et que, par conséquent, des changements de type El Niño auraient lieu dans l'océan Pacifique.
Le résultat serait que les alizés devraient se ralentir et que la circulation atmosphérique de le cellule de Hadley (voir plus loin) transportant les nuages de pluies sur l'Atlantique tropical, pourraient diminuer de façon suffisamment importante pour entraîner des dépérissements des forêts de grande ampleur dans l'ensemble du bassin amazonien.
Ceux qui doutent que nous puissions réduire les émissions de gaz à effet de serre à temps pour empêcher une augmentation moyenne de la température de surface de la planète de 4°C ou plus (sans parler de la hausse de 2°C considérée par James Hansen et ses collègues, comme un risque maximum que l'on peut prendre), pourraient dire «Pourquoi se préoccuper de protéger les forêts tropicales du bassin amazonien où elles sont de toutes façons susceptibles de périr dans leur intégralité ».
En général, les climatologues et les météorologues croient que les courants d'air dans l'atmosphère sont formés par des différences de température qui provoquent des gradients thermiques, avec des chutes d'air plus froid et plus dense, et des remontées d'air plus chaud et plus léger. Par conséquent, l'explication de la circulation de Hadley Cell entre l'Afrique et l'Amérique du Sud est que les puits d'air sec, dense et froid, sur la région du Sahara en Afrique, forment une zone de haute pression (voir encadré).
Cette même masse d'air est alors rabattue sur l'Atlantique tropical sous la forme d'alizés des deux hémisphères qui convergent sur le bassin amazonien, dans ce qui est connu comme la zone convergente intertropicale (ZCIT), en anglais Intertropical Convergent Zone (ITCZ) (voir fig. 1).
La circulation de l'atmosphère terrestre module les températures de surface sur terre et sur mer, ce qui détermine la configuration des pluies (voir fig. 1).
Figure 1. L'atmosphère terrestre circule pour distribuer la chaleur et l'humidité.
L'atmosphère terrestre est mise en mouvement parce que les tropiques sont chauffés plus que les pôles. L'excès de chaleur sur les régions tropicales est transporté en direction des pôles par la circulation de l'atmosphère et par les courants océaniques.
A l'équateur, l'air chaud avec de la vapeur d'eau se dilate et devient moins dense, donc il s'éleve, créant une basse pression. Mais lorsque l'air chaud monte et se refroidit, la vapeur se condense et retombe sous forme d'eau de pluie. Cela crée de fortes pluies dans la zone de convergence intertropicale, située sous les tropiques. Comme la masse d'air se refroidit, elle augmente en densité et tombe vers la surface terrestres dans les régions subtropicales (30 o N and S), créant des pressions élevées. La circulation nette est dénommée Hadley Cell , la cellule de Hadley , s'exerçant doublement de chaque côté de l'équateur.
Si la terre ne tournait pas, il y aurait une seule cellule de circulation dans chaque hémisphère. À cause du mouvement fluide sur une sphère en rotation, la cellule unique est divisée en trois cellules de circulation dans chaque hémisphère, nommées dans l'ordre à partir de l'équateur: Hadley Cell, Ferrel Cell et Polar Cell.
Cela crée une alternance de bandes de haute et basse pressions d'environ 30 degrés de latitude. Le vent se lève lorsque l'air se déplace horizontalement entre les régions de différentes pressions. Très peu de vent est présent à l'équateur parce que l'air monte verticalement quand il se réchauffe. Les vents variables et légers à l'équateur sont connus comme le ‘ Pot au Noir '. De même, il y a peu de vent à 30 degrés N and S, où l'air descend. L'air se déplace toujours à l'horizontal d'une zone de haute pression vers une zone de basse pression.
Pendant ce temps, la force de Coriolis , qui est une conséquence du mouvement sur une sphère en rotation, dévie les masses d'air du milieu de troposphère vers la haute troposphère , vers la droite de la direction du mouvement dans l'hémisphère Nord et vers la gauche dans l'hémisphère Sud. La masse d'air inférieure est plus retenue par le frottement avec la surface de la terre, que la masse d'air supérieure, d'où le sens opposé du mouvement de la haute troposphère par rapport à la plus faible.
Les alizés ramassent des masses de vapeur d'eau : plus de 12 millions de millions (10 12 ) de mètres cubes. Lorsque cette même masse d'air, passant au-dessus du bassin amazonien, atteint les Andes, dans l'extrême ouest de l'Amérique du Sud, elle est forcée de s'élever en raison de la topographie. Elle perd sa vapeur d'eau, tout en cédant sa chaleur latente de condensation, ce qui permet un réchauffement et pousse la masse d'air à se déplacer encore plus loin. L'étape suivante est le mouvement de la masse d'air dans la direction de l'Afrique du Nord, complétant la circulation de la cellule de Hadley. La circulation est donc considérée comme principalement générée par la thermodynamique du système.
Toutefois, ce point de vue selon lequel la thermodynamique conditionnerait la circulation tropicale de la cellule de Hadley a maintenant été contesté. Anastassia Makarieva et Victor Gorshkov de la Division de Physique Théorique à l'Instiutut de Physique Nucléaire de Saint-Pétersbourg, proposent que le fonctionnement thermodynamique de la circulation des masses d'air est bien secondaire par rapport à un moteur beaucoup plus puissant qui est lié à l'évaporation et la condensation de la vapeur d'eau [3-6] . Ils concluent que la perte des forêts tropicales humides de l'Amazonie, quelle qu'en soit la cause initiale, serait extrêmement désastreuse.
La déforestation pourrait bien menacer l'Amérique du Sud avec une sécheresse sans précédent, et conduire à la désertification dans les parties centrales et occidentales du bassin amazonien, avec des répercussions jusque dans les Andes et bien au-delà. S'ils avaient raison, l'existence même du principal système de formation des rivières dans les landes élevées, les Paramos, serait menacée, avec des conséquences tragiques pour la génération des ressources en eau douce dans des pays comme la Colombie, le Pérou et l'Equateur, et a fortiori dans tout le Brésil.
Comment en sont-ils venus à ce point de vue sans concession? La réponse se trouve dans leur examen des processus hydrologiques en vérifiant s'ils ont lieu dans les régions boisées du monde, et dans des régions qui ont perdu leurs forêts.
Makarieva et Gorshkov prétendent que les météorologues et les climatologues ont ignoré le mécanisme important de pompage de l'atmosphère qui entre en jeu lorsque la vapeur d'eau est d'abord attirée dans la basse atmosphère par l' évapotranspiration de la forêt dense, avec son indice relativement élevé de surface foliaire, puis, plus haut dans la partie inférieure de l'atmosphère, se condense en raison des températures plus basses.
Et ils démontrent clairement qu'un haut indice de surface foliaire est vital pour le processus et que le remplacement de la forêt par des pâturages ou une culture de soja, dans laquelle l'évapotranspiration est d'un ordre de grandeur plus bas, ne peut tout simplement avoir le même effet
En effet, sans la végétation naturelle, l'énergie du Soleil prendra la forme de chaleur sensible, qui va non seulement réduire le potentiel de formation des pluies à partir de l'évapotranspiration, mais passera le gradient d'évaporation à partir de la masse terrestre vers l'océan.
Effectivement, dans les régions équatoriales, comme dans le bassin de l'Amazone, où le rayonnement solaire annuel est plus du double de celui qui est reçu dans les hautes latitudes, l'évapotranspiration de la forêt indigène, avec sa canopée fermée et ses sous-étages de végétation, va consommer jusqu'à 75 pour cent de la quantité d'énergie reçue - environ 560 calories par gramme d'eau - refroidit ainsi la surface et alimente le processus de convection par lequel les nuages imposants, composés de cumulo-nimbus, peuvent se former [7].
Pendant ce temps, le moteur de l'évapotranspiration est à l'œuvre : c'est l'action duSoleil, lequel, en terme d'énergie reçue au dessus de l'Amazonie, est équivalent à quelque chose comme 20 bombes de la taille de celle d'Hiroshima de 15 kilotonnes qui se manisfeste par seconde, jour et nuit ; l'énergie de 15 de telles bombes sont utilisée dans l'évapotranspiration.
Au fond, le concept de ‘pompe biotique', proposée par Makarieva et Gorshkov, fonctionne comme une suite de changements dans la pression partielle (partielle car d'autres gaz y contribuent également) exercée par la vapeur d'eau à différentes altitudes dans la colonne d'air au-dessus de la forêt tropicale.
Cette pression partielle, plus la température la plus élevée de l'air à proximité du sol, agissent ensemble pour forcer la colonne d'air à s'élever contre la dépression causée par la vapeur d'eau qui se refroidit et se condense.
Cette dynamique de l'évaporation et de la condensation force la colonne d'air vers le haut, contre la réduction de la pression et, comme cela se produit tout simplement dans la chambre d'expansion du circuit de refroidissement d'un réfrigérateur, le mouvement ascendant de la colonne d'air provoque une perte de chaleur et une baisse simultanée de la température, qui entraîne une réduction marquée de la pression de saturation de l''eau. Pratiquement, toute la vapeur d'eau dans le plan vertical de la colonne d'air se condense donc et forme des gouttelettes de pluie. La chute de la température, en raison de l'expansion de la masse d'air, est compensée dans une certaine mesure, par le dégagement de chaleur latente de condensation.
" En présence d'un gradient vertical de température important", comme le rapporteent Makarieva et Gorshkov [7], " la répartition verticale de la pression partielle de saturation, pH 2 O, s'écarte considérablement de l'équilibre statique ; à n'importe quelle hauteur pH 2 O est plus de cinq fois plus grande que le poids de la colonne de vapeur d'eau supérieure à cette hauteur. Pour cette raison, pratiquement toutes les vapeurs d'eau qui montent dans l'atmosphère se condensent”.
L'air à la base de la colonne d'air est alors remplacé par de l'air qui se déplace horizontalement, en provenance de l'océan. Ce processus de convection, alimenté par la pression partielle de vapeur d'eau de l'évapotranspiration, se charge dans les alizés, qui ont accumulé des quantités importantes de vapeur d'eau quand ils passent sur l'océan Atlantique tropical entre l'Afrique et le Brésil. C'est une image très différente de la croyance populaire selon laquelle les alizés sont le moteur du système de circulation des masses d'air sur le bassin, au lieu d'y être aspirées.
Du fait que l'air au-dessus de l'océan tropical élabore également de la vapeur d'eau, comment l'évapotranspiration des forêts peut-elle attirer l'air de l'océan? Ici, les physiciens s'expliquent : les multiples couches de surface fournies par les feuilles des forêts naturelles fournissent beaucoup plus de vapeur d'eau par centimètre carré que ne le fait l'océan et donc une pression différentielle existe entre les deux, agissant sur un plan horizontal.
Ajoutez dans l'équation l'action de la capillarité qui prend place dans le xylème (tubes de transport de l'eau chez les plantes) et qui attire l'eau vers les stomates (pores des feuilles), d'où elle s'évapore : et aussi le fait que les composés chimiques et peut-être même également les bactéries agissent comme des noyaux de condensation nuageuse (CCN) lorsqu'elles sont libérées par les stomates, et nous avons une force d'évaporation qui est finement réglée pour générer la pluie et apporter simultanément des différences de pression partielle importantes, aussi bien dans le plan vertical qu'horizontal, provoquant un déséquilibre dynamique et donc le mouvement considérable de l'air [7].
C'est merveilleux de voir comment la forêt naturelle entretiennent le système pendant la saison sèche et même pendant les années de sécheresse, comme lors d'un fort courant El Niño , en augmentant la couverture des feuilles et donc l'indice de surface foliaire par un facteur important de l'ordre de 25 pour cent, comparativement à ce qui se passe pendant la saison des pluies.
En effet, comme Myneni et ses collègues de l'Université de Boston l'ont montré à partir d'images satellite, la forêt apparaît comme anticipant la saison sèche avec la croissance de la surface foliaire qui a lieu des mois avant que les ‘mois d'été' ne se produisent réellement [8]. L'augmentation de la surface foliaire signifie que le système racinaire de la forêt doit fournir plus d'eau, et il est maintenant connu que les racines pivotantes pompent l'eau de la nappe phréatique et que cette eau circule aussi par les racines latérales. Ceci freine la zone autour de chaque arbre et maintient une humidité du sol élevée.
L'augmentation de l'évapotranspiration et la convection qui en résulte, se font jour dans l'air humide apporté par les alizés de l'Atlantique tropical dans l'autre hémisphère. Ce processus extraordinaire par lequel la forêt tropicale gère son propre climat, semble renforcer l'idée de la ‘pompe biotique', telle que celle décrite par Makarieva et Gorshkov, lesquels soulignent que les taux d'évaporation et les précipitations dans les forêts tropicales sont deux fois plus élevés que ceux de l'évaporation et des précipitations sur des surfaces océaniques ouvertes à des latitudes similaires. La régulation biotique du cycle de l'eau n'est pas non plus limitée à la zone tropicale. La même approche physique montre que même pendant les mois de la fin du printemps et en été, les forêts tempérées et boréales non perturbées vont générer une force d'évaporation, pourtant bien plus faible que sous les tropiques, qui va créer un gradient de pression partielle de l'océan vers la terre. Mais cette ‘pompe biotique' ne fonctionne pas en hiver [6].
"Ce point de vue physique”, ont déclaré Makarieva et Gorshkovn [7] ”est en conflit direct avec le paradigme traditionnel qui considère que le différentiel de chaleur est le principal moteur de la circulation atmosphérique. Toutefois, cette considération est, du point de vue critique, en défaut dans le cas des vents les plus forts observés sur la Terre, les cyclones et les ouragans, qui, comme cela est bien connu, se développent le long de surfaces presque isothermes.
"Mais si le différentiel de chaleur n'est pas nécessaire pour produire les vents les plus forts, peut-être n'est-il pas non plus indispensable pour produire des vents modérés et faibles ? Le concept de la force par évaporation qui concerne la vitesse du vent à des différences spatiales dans l'intensité de condensation, plutôt que la chaleur, fournit une explication unificatrice à la fois pour les ouragans et pour les tornades, ainsi que pour les modèles de circulation stationnaire".
Dans une autre note, ils poursuivent : « selon le paradigme traditionnel, les régions avec de l'air ascendenct devraient être associées à une flottabilité, à une légèreté positive. En revanche, l'observation des courants ascendants de l'atmosphère montre un large éventail de flottabilités, positives et négatives ».
Le concept de la force par évaporation résout le casse-tête. La pression de l'air dépend de deux variables indépendantes, la température et le nombre de molécules d'air par unité de volume. Par conséquent, il existe deux façons de rendre indépendante la pression de l'air locale plus élevée que dans la région voisine, afin d'initier le mouvement de l'air: (1) réchauffer l'air au niveau local (c'est ce que le paradigme traditionnel du différentiel de chaleur horizontal indique et (2) réduire le nombre de molécules de l'air dans la région voisine (c'est ce que la condensation fait dans la dimension verticale). Ainsi, si la condensation est intense, cela peut même faire augmenter l'air froid et dense de la surface, en créant un fort déséquilibre de poids dans la partie supérieure de la colonne d'air".
L'hypothèse de la force d'évaporation de Makarieva et Gorshkov [3-6] prédit que la région continentale dépourvue de littoral et les forêts de l'intérieur, et situées à côté d'un océan tropical chaud, permettent de retrouver des mouvements des masses d'air de surface à l'inverse de celles que l'on trouve sur les continents boisés.
Normalement, la force par évaporation au-dessus de la canopée d'une forêt tropicale est considérablement plus grande que celle qui existe sur l'océan tropical; ce n'est plus le cas lorsque la forêt a disparu. Au contraire, la force par évaporation sur l'océan est maintenant supérieure à celle de la ‘pompe biotique' de la végétation appauvrie, et l'océan va attirer la masse d'air vers lui, desséchant ainsi les sols du continent et la végétation dans une spirale négative de dégradation.
Simultanément, sans le recyclage des pluies par la forêt tropicale, les précipitations devraient diminuer de façon exponentielle, quand on passe vers l'intérieur des terres à partir de la côte. L'extrême ouest de l'Amazonie, ainsi que les contreforts des Andes, pourraient se retrouver à ne recevoir que moins d'un pour cent de la pluviométrie à laquelle ils sont habitués actuellement : ces espaces pourraient devenir aussi secs que le désert du Néguev en Israël.
Peut-être que la sécheresse exceptionnelle de l'année 2005 dans le bassin de l'Amazone, qui a particulièrement touché la région du sud-ouest de ce bassin, nous a-t-elle donné un avant-goût de ce qui se passerait si les forêts venaient à disparaître ? Au cours de cette année, les eaux tropicales, au large du Brésil et en remontant vers les Caraïbes, ont présenté une température d'un ou deux degrés de plus que la normale, avec une augmentation correspondante de la force d'évaporation océanique.
Cette augmentation a pu faire encher la balance, au moins pour cette année là - étant donné le degré de déboisement dans la région du sud-est et du sud-ouest du bassin amazonien - de manière à modifier le mouvement des masses d'air sur ce bassin et de tirer plus vers l'océan, plutôt que de suivre sa trajectoire normale à travers l'Amazonie.
L'explication classique pour les mouvements de l'air s'appuie sur des processus thermodynamiques tels que l'air chaud monte et que la faible pression qui en résulte attire l'air froid et plus dense, qu'il s'agisse de l'océan ou d'un continent. Pourtant, comment cela peut-il être une explication suffisante, quand la preuve est exactement l'inverse ? Ainsi, le flux d'air va du plus chaud de l'Atlantique tropical vers un air refroidi en Amazonie, qui est plus frais en raison de la forte évapotranspiration et donc la formation de nuages réfléchissant la lumière. Et alors que le Sahara est plus chaud, au moins pendant la journée, à la même latitude de l'Atlantique, comment cela se fait-il que les vents dominants ne vont pas de l'océan vers la terre ?
"Malgré la sagesse météorologique générale selon laquelle l'air chaud est plus léger et s'élève donc, il y a donc une zone de basse pression de surface (ce qui suppose l'écoulement du vent de l'océan vers le Sahara et de l'Amazone et du Congo vers l'océan), en réalité, les vents dominants soufflent dans le sens opposé dans les trois régions.
« Cela est parfaitement expliqué par la ‘pompe biotique' », ont déclaré Makarieva et Gorshkov [7], « et non pas par un différentiel de chaleur. En fait, c'est le gradient de condensation qui explique la direction des vents, qu'il s'agisse de l'océan vers le continent ou vice-versa ».
D'autres preuves empiriques de la ‘pompe biotique' proviennent de la simple étude de la relation entre le modèle des précipitations sur les bassins hydrographiques dans lesquels ils présentent des différences substantielles, selon qu'elles appartiennent ou non à une région à travers laquelle passent les rivières, si elle est couverte de forêts [6].
Le bassin du fleuve Mississippi en est un bon exemple. Lorsque le terrain est boisé de la côte atlantique vers intérieur des terres, qui s'étendent sur 1.750 kilomètres, les précipitations restent stables, à environ 1.000 millimètres au cours de l'année; à l'intérieur des terres, où il n'y a pas de forêt, les pluies diminuent de façon exponentielle à un peu plus 200 millimètres. Pendant ce temps, les précipitations à travers le bassin de l'Amazone restent sensiblement les mêmes aux alentours de 2.400 millimètres par an et elles augmentent même à l'extrémité ouest du bassin, par exemple dans l'Amazonie colombienne riche en matières organiques, où les précipitations vont jusqu'à 4.000 millimètres.
En substance, Makarieva et Gorshkov pensent que la stabilité climatique, dans une gamme limitée de température, en tenant compte des périodes glaciaires et inter-glaciaires, a été provoquée en grande partie par l'évolution des forêts du continent. En termes de superficie absolue, les forêts boréales de la Russie, du Canada et les forêts tropicales d'Amérique du Sud et de l'Afrique centrale, demeurent des éléments vitaux pour le maintien d'un climat qui conserve un semblant de stabilité.
La préservation de ces forêts est tout aussi importante que les préoccupations concernant les émissions de gaz à effet de serre et le réchauffement climatique qui en résulte.
« Plus important encore », ont-ils déclaré, [7], « il était nécessaire, pour les forêts naturelles avec leur haut indice de surface foliaire, d'apparaître dans le courant de l'évolution biologique avec l'évaporation de la canopée, afin de dépasser l'évaporation de la surface de l'eau libre. Cette vie a permis d'envahir les terres émergées jusqu'à présent sèches, en aspirant l'air océanique humide vers l'intérieur, alors que les forêts progressaient et avançaient à partir de la côte. Il n'est pas surprenant, que les modèles modernes de la circulation mondiale, conçus sans y inclure la physique de la ‘pompe biotique', échouent radicalement lorsque l'on tente de rendre compte de l'état des masses d'eau de la plus forte ‘pompe biotique' sur Terre que représente le bassin du fleuve Amazone.
La quantité d'humidité océanique apportée au bassin du fleuve Amazone, dans les modèles (le modèle de la convergence d'humidité atmosphérique), se révèle être la moitié du montant réel estimé empiriquement à partir de la valeur de l'écoulement de l'Amazone. Il est évident que les comptes traditionnels de transport de l'humidité dans les autres grands bassins fluviaux, y compris les rivières de Sibérie et du Nord du continent américain vont de même devoir être sérieusement revus, afin d'incorporer les effets majeurs des pompes de l'humidité des forêts, et la destruction anthropique de ce qui menace actuellement de transformer des masses continentales et de les voir retourner aux déserts primordiaux".
Les implications de la thèse de Makarieva et Gorshkov sont énormes: pour l'essentiel, cela signifie que l'Amérique du Sud ne peut pas se passer de ses forêts tropicales, et qu'au lieu d'ergoter sur le fait de savoir quelle part de ces massifs forestiers devrait être conservée, les pays ayant d'importants territoires dans le bassin amazonien doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir, pour veiller à ce qu'il n'y ait plus de déforestations. Les forêts ne sont pas simplement des puits de carbone ou des sources de carbone à considérer si elles venaient à être détruites : elles ont un rôle hydrologique essentiel et irremplaçable dans le climat de la planète Terre.Article first published 15/03/10
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Greg Peachey Comment left 24th September 2010 01:01:46
I too am supporter of the work of Gorshkov, Makarieva and St Barbe-Baker, and would like to work with you.
I have convened an All Party UK Parliamentary discussion, building on their work on 18 Nov 2010.
I hope you won't mind if I email you all invitations to that event...
Take care, Greg
Stephanie Mott Comment left 30th April 2010 16:04:02
By the way, I have written about the teleconnection between the Amazon and the Mid West of the USA and how US crops in the corn belt depend on the water vapour transported in slow standing Rossby waves out of the Amazon.
Where can I find this??????????????
Ilyan Comment left 16th March 2010 19:07:57
I saw one article that predicted the loss of the Amazon rainforest would lead to severe drought in middle west North America.
Was that omitted because it is too damn scarey?
Krichauff Comment left 16th March 2010 20:08:52
Man of the Trees, Richard St. Barbe Baker predicted this about 100 years ago we have had lots of time to mend our ways but blunder on to doom probably.
Peter Bunyard Comment left 17th March 2010 08:08:00
Thanks for your comments so far. Yes, I am familiar with the wonderful work and studies of Schauberger and St Barbe Baker (whom I did meet on several occasions). Meanwhile Makarieva and Gorshkov have thrown down the gauntlet to those - the great majority of climatologists and meteorologists - who have totally overlooked the role of life and in this instance the great forests of the planet in actually managing the mass movements of air which bring rainfall to the deep interior of continents. Hence forests are the generators of evolution in providing the means by which adequate rainfall can maintain the richness of the Amazon to the western reaches of the Basin, some thousands of kilometres from the Atlantic coast of Brazil.
We do indeed threaten our very survival by eliminating the vast stretches of rainforest and in my opinion, doing everything in our power to prevent further forest destruction is every bit as important as our concerns with CO2 emissions.
By the way, I have written about the teleconnection between the Amazon and the Mid West of the USA and how US crops in the corn belt depend on the water vapour transported in slow standing Rossby waves out of the Amazon. Roni Avissar, then at Duke University and now in Florida, is one of the principal researchers in the field.
Rory Short Comment left 17th March 2010 08:08:29
The work of Anastassia Makarieva and Victor Gorshkov makes absolute intuitive sense to me because I take joy in the fact that we live in, and are components of, a bio-sphere not a mechano-sphere. Our thinking n the recent past, and unfortunately still in the present, has been driven by a belief, and perhaps even a desire, that somehow we live in a mechano-sphere.
Peter Goldsbury Comment left 31st October 2010 16:04:34
We love this article and are honoured to reference Victor and Anatassia's lessons along with others in a active reasearch project at the school and community in the Whirinaki Rainforest, Te Urewera, New Zealand. That is all about sharing resources that allow people to better understand the real value of the critical ecosystem services that rainforests provide to support ongoing and well life on our planet. Details at
Details http://www.whirinakirainforest.info/weather/explanation.htm
Todd Millions Comment left 11th April 2010 14:02:38
If Mr Bunyard or anyone else wishes too see this biotic pump in action,a wintre spent on the west side of Vancouver isle,north of long beach,would provide an exellent example before your eyes,even with it rising from the clear cut stumps.
It impressed me when i lived their-hard too measure the rains again reaching for the sky-but the minds eye trying to stretch it to amazonoan scale is indeed awe inspring.
Further-imagine this in western europe,Before the great beech and oak forests were lost for-sheep!
Alick Bartholomew Comment left 17th March 2010 08:08:19
This important research corroborates the insights 80 years ago of Viktor Schauberger who demonstrated the close connection between trees, the Earth’s water cycle and the production of rain, and who saw the tropical rainforest as the powerhouse for balancing climatic extremes on the planet. He called the forests ‘the cradle of water’ in the sense that they produce the most balanced and best quality fresh water. The forest canopy receives rain imbued with the Sun’s energy and draws up water from deep in the soil, transpiring abundant and high quality water which balances the two energy sources.
Schauberger proposed a complex water cycle below ground level, where the water molecules from precipitation are broken down to provide energy for new growth, then to be recycled into new water. He believed that that new virgin water is created by the coming together of molecular hydrogen and free oxygen in the depths of the soil, stimulated by the trees’ root systems. Schauberger was an intuitive, and it is good to see some of his insights supported scientifically.
Thank you, Peter Bunyard, for this excellent article!
Mary Paul Comment left 16th March 2010 13:01:59
Wonderfaul article. I would thoroughly agree with the Russian researchers. Having read some of the work of VIktor Schauberger where he describes the hydrological cycle (trees are essential to keep the ground temperature cooler than the rain so as to allow the rain to penetrate) as against the half-hydrological cycle. the latter is seen when the lack of vegetation allows the earth to become so warm that rain does not penetrate, but flows over the top and is rapidly evaporated, and so ground waters are not able to be replenished. Schauberger was an Austrian and did absolutely brilliant work.
Mike G Comment left 4th December 2012 19:07:35
stumbled across this article while researching a Jules Verne novel about the Amazon.
Scary.
Sure would be good if Rush Limbaugh and his cohorts would just pay attention and give up on their boneheaded view that human contribution to global worming is a hoax. The longer they wait, the more foolish they look.
mary Comment left 23rd April 2015 20:08:46
boring....way to long!!!!!